15 mai 1993, on assassinait Me Babacar Sèye. «On», parce que, plus d’une vingtaine d’années après, l’affaire n’a pas révélé tous ses secrets. Moussa Sène Absa vient d’en faire un film, «L’affaire Sèye : le festin des vautours». Entretien avec le journal Sud quotidien.

Le 15 mai 1993, on assassinait Me Babacar Sèye, le viceprésident du Conseil constitutionnel. «On», parce que, plus d’une vingtaine d’années après, l’affaire n’a pas révélé tous ses secrets. Le cinéaste Moussa Sène Absa vient d’en faire un film, «L’affaire Sèye : le festin des vautours», qui sera projeté le vendredi 25 janvier (18H) au Complexe Ousmane Sembene (Magic Land). En présence du ministre de la Culture, Abdou Latif Coulibaly, qui a lui-même consacré tout un livre à cette affaire : «Sénégal affaire Me Sèye : un meurtre sur commande». Le film de Moussa Sène Absa ? Un «film personnel», sur «un sujet tabou», par un réalisateur qui dit n’avoir pas peur de ses «sujets». Ses films ? Une affaire de «passion» ditil. Toujours dans cet entretien téléphonique qu’il a bien voulu nous accorder hier, vendredi 25 janvier, Moussa Sène alerte, prévient : «Nous sommes dans un moment très délicat», il y a «plusieurs signes avant-coureurs d’une confrontation», «nous sommes dans un moment très délicat».

Quand avez-vous eu l’idée de faire un film sur l’affaire Me Sèye, et pourquoi avoir choisi de travailler sur ce sujet-là ?

Ça fait quand même quelques années que ce sujet me traverse l’esprit, un peu plus de 20 ans même je dirais…Quand l’affaire s’est présentée, je n’étais pas au Sénégal, je suis rentré juste après, j’ai suivi un peu ce qui s’est passé et l’idée de départ a été de faire un film de fiction sur ça, parce que, il y a tellement de mystère, de choses peut-être ahurissantes qui se sont passées, que d’abord j’avais pensé à faire une fiction. Mais plus tard je me suis dit : bon, pourquoi pas un documentaire et peut-être jeter un regard sur ce qui s’est passé ou ce qu’on m’a dit qu’il s’est passé, parce que moi je n’étais pas là. Et c’est là que j’ai rencontré Abdi Sèye, le fils de Me Sèye, et puis je lui ai glissé un mot, comme ça, en le taquinant. Je lui ai dit  : «Mais, moi je serais à ta place, j’aurais tout fait pour savoir qui a tué mon père !» Et comme ça, en blaguant, il m’a dit : «Pourquoi tu ne fais pas toi, un film  ?» Mais moi j’ai fait un film assez personnel de ma relation avec Abdi, et aussi au niveau de la famille, de comment ça a été ressenti, quelques témoins qui étaient là, quelques versions… Ce n’était pas facile, dans la mesure où beaucoup de gens ne voulaient pas…parler de cette histoire, c’est resté comme un sujet tabou, même les acteurs, quand tu leur en parles, ils se retranchent souvent facilement dans un mutisme. Donc voilà un peu en général pourquoi j’ai… Mais c’est un film assez personnel, parce que je n’aime pas l’injustice, je n’aime pas qu’on tue un père de famille comme ça, et puis…Et puis rien, ou encore trop peu pour l’immensité de l’acte.

Quand vous dites que certains acteurs étaient réticents à l’idée d’évoquer cette affaire-là, de qui parlez-vous ?

Mais…Je ne vais pas les citer pour le moment (il répète la phrase), mais il y en a qui sont là, il y en a qui ne sont plus là. J’ai lu en tout cas tous les livres que certains ont écrits sur le sujet, chacun s’est tiré un peu la couverture sur lui, c’est un imbroglio incroyable, moi j’ai essayé un peu de faire une transversale sur toutes ces versions, je n’ai pas la vérité hein, mais il y a des pistes de vérité comme ça, il y a des questionnements, voilà.

Vous touchez à un sujet sensible. N’avez-vous pas hésité ?

Non ! Je n’ai pas peur de mes sujets moi, les sujets que je fais je les fais par passion, je les fais par ma position de….Je suis un cinéaste, je suis un témoin de mon temps, je dois dire des choses qui me touchent, et ça c’est une histoire qui m’a beaucoup touché, surtout quand j’ai appris quel homme il était, comment il tenait à sa famille, comment il était généreux, comment il était sportif, de bon allant, père de famille, magistrat, ex ambassadeur, Bâtonnier de l’Ordre des avocats, et tout ça… Comment on peut, comment on peut tuer un monsieur comme ça ?! Donc c’est vraiment cette question-là qui m’a taraudé l’esprit pendant des années, et chaque fois qu’il y a un 15 mai, je n’arrête pas de penser à ce jour-là. Finalement j’en ai fait un film. Sur les réseaux sociaux, où vous avez annoncé la projection de votre film, vous dites que vous n’avez pas fait ce film pour ouvrir des plaies… Non mais moi je ne veux pas… Ce n’est pas pour accuser un tel ou un tel, mais je me dis que si c’est arrivé en 1993, et que c’est resté impuni, peut-être que ça peut se répéter à un autre moment…Puisque c’est impuni. Et nous sommes dans un moment très délicat, nous sommes à la croisée des chemins, c’est un moment de tension hein. Quand je regarde les visages des Sénégalais, les Sénégalais sont très inquiets, ils sont tous inquiets, et ça ce n’est pas bon, c’est un mauvais présage. Les Sénégalais, normalement, devaient être comme tout le monde, vaquer à leurs occupations, aller travailler, avoir leurs cartes et attendre le jour du vote, et aller voter, et puis c’est terminé, comme ça a toujours été fait ! Pourquoi il faut autant de tension, de bagarres, et de fronts radicalisés ?! L’opposition, comme le pouvoir… Mais je dis ça ce n’est pas bon ! Peut-être que c’est le moment de décrisper la situation et de dire  : «Mais écoutez hein, ce pays nous appartient, attention hein ! » Il y a des choses qui se sont passées, et il ne faut pas que ça se renouvelle : nous ne voulons pas du sang qui coule, pas le sang d’un Sénégalais qui coule, il faut y aller sereinement, il faut être gentlemen, parce que on a quand même une réputation de pays démocratique depuis des années, depuis des siècles ! Depuis des siècles, ce pays a fonctionné sur des règles démocratiques (il marque une pause), et pourquoi maintenant, au 21ème siècle, on se retrouve à dire : voilà, il y a des radicaux, de gauche comme de droite, il y a plusieurs signes avant-coureurs d’une confrontation, et ça ce n’est pas bon.

Pour parler de votre film toujours, «L’affaire Sèye : le festin des vautours», quelle place ce film occupe-t-il dans votre filmographie ?

Moi je fais mes films sans les classer hein, chaque film est une réflexion sur un moment de ma vie, mon regard sur la société, comment je sens mon pays, je suis très comme ça… Je peux rester cinq ans sans tourner, je peux tourner trois films comme là en ce moment, je suis en train de finir un autre film, qui n’a rien à voir avec la politique, qui est plus un film environnemental, je prépare mon long métrage, j’écris, je fais d’autres choses, moi je suis un boulimique en fait. Donc c’est un film qui, dans ma filmographie, a une place importante parce que c’est un film qui m’a affûté pendant 20 ans au moins, et c’est un film important pour moi aussi, que les Sénégalais se regardent enfin dans un miroir, et se disent : ça s’est passé chez nous, quand même. Ce n’est pas normal, il ne faut pas que ça se passe, voilà le but recherché.

Pourquoi ce titre, et qui sont ces vautours ?

Les vautours sont ceux qui l’ont tué ou fait tuer. Pourquoi ? That is the question.

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